21/06/2025

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À Lukang, arts d’hier et d’aujourd’hui

01/09/2014
Dans la cour du temple de Mazu, un des sites les plus visités de Lukang. (Photo de Chuang Kung-ju / Taiwan Panorama)
Lukang, dans le district de Changhua, sur la côte ouest de Taiwan, fut naguère un port de commerce d’importance, créé par la cour impériale des Qing en 1784, et à ce titre joua un rôle éminent dans les premiers temps du développement économique de Taiwan, avant l’émergence de Bangka (l’ancien nom de Wanhua), à Taipei.

Autour du « port des cerfs » (Lukang doit son nom au gracieux animal qui était très présent dans la région), la ville s’est étendue progressivement. La première grande voie publique (rebaptisée depuis avenue Zhongshan), construite durant la dynastie Qing et encore utilisée aujourd’hui, est légèrement surélevée.

A l’époque Qing, Lukang était connu pour ce qu’on appelait ses « trois manques » : on n’y voyait plus ni le ciel, ni la terre, ni les femmes, disait-on. Si le ciel était caché, le long des artères, c’est que les riches commerçants qui avaient pignon sur rue y déployaient des auvents pour abriter leur clientèle de la pluie comme des rayons mordants du soleil. La terre soit disant devenue invisible faisait référence au fait que les rues étaient pavées de brique. Quant aux femmes, leur absence s’expliquait par le fait que, dans les familles aisées, à cette époque lointaine, elles avaient en général les pieds bandés, ce qui les obligeait plus ou moins à rester confinées dans leurs demeures.

Aujourd’hui, Lukang serait certainement décrite avec davantage de justesse comme la ville des « trois abondances » pour le grand nombre d’édifices historiques, de spécialités culinaires et d’artisans qu’on y trouve. Un de ses nouveaux sites remarquables est le Village d’artistes de l’allée des osmanthes, un endroit idéal pour débuter une promenade.

Repaire d’artistes

A l’époque coloniale japonaise, les berges de la rivière furent rehaussées et on y construisit des maisons de bois pour les fonctionnaires. Après la rétrocession de Taiwan à la République de Chine, ces résidences ont été utilisées de la même façon. Mais, ces dernières années, la population de Lukang s’est sensiblement réduite, et ces bâtiments historiques se sont lentement vidés. Finalement, il a été décidé de restaurer ces maisons et de leur trouver une nouvelle utilisation. C’est ainsi qu’elles composent aujourd’hui le Village d’artistes de l’allée des osmanthes. Disposées de part et d’autre d’une allée assez spacieuse, elles sont louées depuis 2010 à des artisans et artistes. On compte actuellement huit locataires travaillant dans des domaines divers et redonnant de l’énergie au vieux Lukang. Sont ainsi voisins un photographe, un peintre, un flûtiste, un illustrateur pour enfants, ou encore un artisan spécialisé dans les patchworks. Shi Jun-xiong [施峻雄], 54 ans, sculpteur et collectionneur de têtes de lion, est peut-être le plus célèbre des habitants du quartier.

L’Atelier Shi

« C’est un endroit empli de bêtes féroces qui fait peur à certains enfants », plaisante Shi Jun-xiong, en parlant de la maison qu’il a investie. Dans « Atelier Shi », le caractère shi [獅], qui se trouve être un homophone du patronyme de l’artisan, signifie « lion ».

La danse du lion est un élément incontournable des célébrations traditionnelles, la danse du lion est en général assurée par un club d’arts martiaux associé à un temple. Les danseurs, dont un portant à bout de bras une tête de lion sculptée, évoluent au rythme entraînant du tambour.

Depuis 35 ans, Shi Jun-xiong n’a pas seulement fabriqué de nombreuses têtes de lion, il en a aussi collectionné des milliers, de toutes les tailles. Si Lukang n’est pas le seul endroit de Taiwan où on en produit, c’est donc probablement celui où on peut en voir la plus belle collection. On peut ainsi y découvrir les différences de styles entre régions, mais aussi entre clubs d’arts martiaux. Avec le temps, Shi Jun-xiong a compilé de nombreuses informations qui lui ont permis de faire la « généalogie » des têtes de lion de chaque région du monde chinois. Celles importées à Taiwan depuis le continent sont le plus souvent dans le style de Pékin, du Guangdong ou du Fujian, explique l’artisan. Quant aux têtes de lion taiwanaises, elles sont une variante du style du Fujian, dont les couleurs dominantes sont le bleu et le vert.

Ces têtes de lion présentent aussi des variations d’une région de Taiwan à l’autre. Dans le nord, elles ont en général une gueule pourvue d’un mécanisme lui permettant de s’ouvrir et de se fermer. On les appelle en conséquence « gueules ouvertes du nord ». Elles diffèrent légèrement de celles que l’on trouve dans les villages hakka. Dans le centre et le sud de Taiwan, les lions ont le plus souvent la gueule fermée.

« On peut aussi faire des distinctions entre les têtes de lion du centre et du sud, explique l’artisan-collectionneur. Les premières ont le front un peu bombé, alors que la face plate propre au style Song Jiang est prédominante dans le sud. »

Les visiteurs sont en général surpris de trouver, parmi les nombreuses têtes de lion accrochées au mur de l’Atelier Shi, une pièce véritablement différente. Et pour cause : elle est affublée d’un groin de sanglier. Shi Jun-xiong explique en riant qu’il s’agit d’une commande, le client ayant demandé à ce que la tête de lion présente des caractéristiques aborigènes, sans toutefois donner plus de précisions. Perplexe, l’artisan a finalement suggéré de s’inspirer d’un animal souvent utilisé dans les sacrifices tribaux, et le client a donné son accord !

À Lukang, arts d’hier et d’aujourd’hui

Shi Jun-xiong est à la tête d’une étonnante collection de têtes de lion. (Photo de Chuang Kung-ju / Taiwan Panorama)

Des temples à voir absolument

Les fans du chanteur Luo Ta-yu [羅大佑] connaissent tous son tube des années 80, « Lukang, Little Town », et ils font donc forcément un tour par le temple de Mazu qui y est mentionné. « Je garantis aux visiteurs intéressés par les vieilles pierres qu’ils ne se perdront pas dans le dédale des rues de Lukang tant qu’ils ne s’écarteront pas des rues pavées de briques », dit Chen Shi-xian [陳仕賢], ravi de partager ce petit secret d’initié. Propriétaire d’une librairie à Lukang, il a lui-même publié une douzaine de guides et de monographies sur sa ville.

Le temple Longshan de Lukang a été fondé en 1653, à la fin du règne de la dynastie Ming sur le continent. Reconstruit en 1786 sur les lieux où il s’élève encore aujourd’hui, c’est le seul édifice de Lukang à avoir été classé au patrimoine historique national. Comme le temple de Mazu, il fait, pour Chen Shi-xian, partie des sites à visiter absolument. Les deux temples se trouvent aux deux extrémités de l’avenue Zhongshan et on peut passer de l’un à l’autre en suivant l’allée de brique des Neuf Tournants, un itinéraire de promenade particulièrement agréable au milieu des vieux édifices.

Chacun des temples et des sites historiques de Lukang a ses caractéristiques. Par exemple, Chen Shi-xian suggère aux visiteurs de bien observer les magnifiques sculptures sur bois et sur pierre du temple de Mazu, ainsi que ses fresques, qu’il considère comme les plus belles de Lukang. Au temple Longshan, il ne faut pas rater le célèbre toit octogonal à caissons, le mieux préservé de Taiwan.

D’autres sites remarquables s’élèvent tout au long de l’allée des Neuf Tournants, comme le Hall de la mémoire et sa cour profonde, le bâtiment Shiyi où les lettrés de Lukang avaient coutume de se réunir, ou encore la Porte étroite, que les gangsters n’osaient pas franchir.

Traditions sucrées

Bien des villes et villages de Taiwan doivent une partie de leur renommée à leurs spécialités sucrées. Les gourmands ne doivent pas hésiter à visiter la Pâtisserie Yu Jen Jai, dans la rue Minzu, fondée en 1877 et qui est à l’origine d’une friandise locale aujourd’hui fameuse, les gâteaux « œil de phénix ». Deux autres pâtisseries plus que centenaires de Lukang sont réputées également, Jeng Sing Jen et Jeng Yu Jen. Les trois établissements sont étroitement liés à l’histoire de Jeng Chui [鄭槌], un célèbre pâtissier venu de Quanzhou, en Chine.

Lee Meng-jiun [李孟君], professeur au Centre d’éducation de l’Université Chienkuo de technologie, explique que la famille qui a fondé Yu Jen Jai tenait auparavant un magasin de tissus, mais qu’elle fit venir de Chine un pâtissier – Jeng Chui, qui n’avait alors que 16 ans – pour se reconvertir dans un secteur plus lucratif. Par la suite, Jeng Chui quitta Yu Jen Jai pour fonder sa propre pâtisserie, Jeng Sing Jen, puis une deuxième, Jeng Yu Jen.

Arrivé à Taiwan avec un livre de recettes, le talentueux Jeng Chui créa lui-même les gâteaux « œil de phénix ». A l’époque coloniale japonaise, l’artisan remporta une médaille d’or dans une compétition nippone. La réputation des pâtisseries de Lukang était faite, et ces gâteaux en forme de calisson, à base de farine de riz très fine, sont devenus le symbole de Lukang.

Les pâtissiers de Lukang proposent aussi une version revue et corrigée des « langues de bœuf », spécialités sucrées d’Yilan, sur la côte nord-est. Elles sont ici beaucoup plus épaisses, avec une riche pâte feuilletée et un fourrage à la confiture de fraise ou au taro, par exemple. Tous ces délices pourraient toutefois être mieux mis en valeur comme éléments de la culture et du patrimoine local, estime Lee Meng-jiun. Il est certain en tout cas qu’ils rendent la découverte de Lukang encore plus savoureuse et fascinante.

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